Victor_Versaille

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Moi Victor Lecoup

dimanche 23 août 2020

Jour de mariage en corbillard


Ce jour-là, moi, Victor Lecoup, je vais à Cazès-Mondenard, Tarn-et-Garonne, Midi-Pyrénées, France. Pour mon job, mon enquête, mon reportage. Officiellement de mariage. En cachette, à la chasse aux collectionneurs de corbillards ...

La mariée est là, au cœur de la fête. Radieuse. Mariée ce jour à la mairie puis à l’église. Elle est sous les pommiers en fleurs dans le parfum des herbes coupées avec tous ses invités bien mis au vin blanc et rouge d’honneur dans le parc du charmant musée hippomobile où son petit frère Clovis conserve une impressionnante collection de corbillards. Corbillards cachés pour l’occasion, en ce jour de belle et longue vie où la mort n’a pas droit au chapitre. Ici, en blanc en pleine lumière, c'est la mariée, la fête, le bonheur, la vie. Plus loin, en noir, enfermés dans le noir, ce sont les corbillards, la tristesse le malheur, la mort.

La fête bat son plein quand soudain un invité un peu éméché se pique de curiosité et pousse la porte de la grange à la collection étrange. Waouh c’est ouf cette touffe de draps noirs ! Surprise ! Émoi ! Éclats de rire ! Ce sournois visiteur ébahi appelle son monde à le rejoindre. Certains curieux et d’autres amusés le rejoignent. La mariée offusquée court les ramener à la fête. Son frère la poursuit pour tenter de la calmer. Grande effusion de cris, de gestes, de pleurs et de rires aux timons de ces carrioles muettes sagement alignées, plus belles les unes que les autres, dans leur noir lustré et leur dentelles de blanc nickel. Bagarrette générale entre les offusqués qui veulent faire sortir la foule, les engagés qui veulent rester là pour visiter ce musée rocambolesque décalé et instructif, et les enjoués heureux de cette belle plaisanterie qui met la mariée en folie !

Bientôt un bruit étrange se fait entendre, dehors, une sorte de trot, oui c’est bien cela, deux chevaux trottent. Au voleur ! Un corbillard se fait la malle. Le sang de Clovis ne fait qu’un tour. Il enfourche sa bicyclette à la poursuite de ces voyous. D’autres le suivent en courant, fourche ou pique à la main, criant des insultes à tue-tête. Étrange cortège de gens en beaux habits de fête à la course derrière un corbillard en fuite. Deux invités malins démarrent un corbillard automobile, plus moderne que les hippos, une sorte de teuf-teuf qui roule à grand peine à 10 km/h. L’un deux empoignent la mariée pour l’emporter dans ce bruyant cortège. Debout sur le siège, son bouquet à la main, son voile au vent, la belle invective son monde, les abjurant de rentrer à la fête et de laisser Clovis faire son affaire de ces méchants garnements.

Je me jette dans mon petit cabriolet violet ni vieux ni laid et roule derrière eux. Un comparse du coin s’y est jeté avec moi. « Tourne à droite ! » me lance-t-il.  Je tourne dans cette rue étroite. « C’est un raccourci, tu vas les coincer au bout du chemin. » En effet, je leur fais face maintenant, avec mon cabriolet violet ni vieux ni laid, que je mets habilement en travers. Le cocher freine des huit fers. Son corbillard s’arrête en trois temps deux mouvements. Mon sang ne fait qu’un tour. Je gicle et je gifle. Le costaud tombe à l’eau du haut de son coche. Son acolyte me tourne le dos pour sauter en fuite à la jamaïcaine. Je le prends par le col et lui décoche un direct du droit tout droit de mon plein droit. Son nez saigne. Le sang tâche. Je place un autre direct du même droit. Ma victime s’écroule, à terre.

La mariée m’embrasse. Clovis m’assomme d’un crochet du gauche. Je tombe dans les pommes, entendant dans la brume un vague « T’as salis mon bijou, voyou ». Je crois, moi, que je n'aurais pas dû laisser sa sœur m'embrasser.



mercredi 19 août 2020

L'échéphile défile en ville

Ce jour-là, moi, Victor Lecoup, je me rends à Nîmes, Gard, Languedoc-Roussillon, France. Pour mon job, mon enquête, mon reportage. A la rencontre d'un échéphile spectateur du championnat de France d'échecs.

Je suis attendu à la gare ferroviaire. Je descends de ma voiture, de chemin de fer, et j'avance vers le hall, de gare, noyé dans la foule, des voyageurs.

J'aperçois bientôt une pancarte "Grand reporter Victor", tenue haut de sa main droite par un petit bonhomme tout de blanc vêtu portant un bonnet multicolore sur la tête. Un fou en somme. C'est mon homme. Je le salue et le suis là où il m’emmène, vers une autre sortie, où nous retrouvons un petit bonhomme tout de blanc vêtu, portant un bonnet multicolore sur la tête, tenant haut de sa main gauche une pancarte "Grand reporter Victor". Nous voilà trois en marche vers je ne sais où, le droitier à ma droite et le gaucher à ma gauche.

Surprise, ô surprise ! j'aperçois bientôt au bout de la rue deux belles montures richement habillées, montées chacune par un cavalier en habit d’apparat, l'un tenant son écu à droite et sa lance à gauche, et l'autre sa lance à droite et son écu à gauche. C'est à leur rencontre que nous allons. Nous voilà cinq en marche vers je ne sais où, un cavalier et un fou à ma droite, et un cavalier et un fou à ma gauche.

Un peu plus loin, deux grands gaillards en cotte de mailles montent la garde à l'entrée d'une cour, l'un sur la droite et l'autre sur la gauche. C'est là que nous allons. Nous voilà sept, mes gardes du corps et moi, en route vers je crois savoir qui, un garde, un cavalier et un fou à ma droite et un garde, un cavalier et un fou à ma gauche.

Nous entrons dans cette maison, belle demeure bourgeoise. Et c'est là que m'accueillent le roi des échéphiles et sa reine, tous deux habillés de blanc de la tête aux pieds. Ils trônent là, m'attendant patiemment, entourés de huit jeunes enfants, garçons et filles, tous très occupés qui à ceci, qui à cela, et tous les huit mis en blanc sur leur 31.

"En marche !" ordonne la reine en se levant de son siège. Elle claque dans ses mains. Les enfants se placent devant elle, en rang par deux. Le roi se lève au côté de sa dame. La troupe se met en marche, huit enfants bien alignés, quatre à gauche devant le roi, quatre à droite devant la reine, avec à leur côté gauche, un garde , un cavalier et un fou, et à leur côté droit, un garde, un cavalier et un fou.

En marche vers je ne sais où. J'accompagne la troupe, seul. Dans une première rue puis une deuxième. Je ne suis déjà plus seul. Bientôt nous remontons l'avenue du Languedoc. Avec à notre suite une foule désordonnée de gens amusés. Un trompettiste et deux tambours ont rejoint les rangs. Nous défilons en musique avec entrain et gravité, un roi, une reine, deux fous, deux cavaliers, deux gardes et huit petits valets, tous tout de blanc vêtus.

Nous entrons dans le Parnasse sous les yeux ébahis des spectateurs. Nous prenons place dans les gradins. Pour assister en grande tenue de roi des échéphiles au Championnat de France d'échecs.

Roi des échéphiles, certes, et amoureux de grand jeu, passionnément.