Ce jour-là, moi, Victor Lecoup, journaliste, je me rends dans le XVIème, Paris,
Ile-de-France, France. Pour mon job, mon enquête, mon reportage. A la
rencontre de Marcel Robe, un collectionneur de vêtements, qui se dit
vestibuphile.
Quel nouveau coup
pendable ce diable a-t-il concocté ? Car, je me suis renseigné, cet
amateur éclairé est passé maître dans la collecte de pièces de musée. Vente aux
enchères par-ci, vide-grenier par-là, service rendu à la Nation, petit
arrangement entre garnements, tout moyen justifie ses fins. Ce grand monsieur m’a adressé une invitation personnelle à la Nuit de la
lingerie Agnès Sorel. J’en suis flatté, intrigué et amusé. Le carton indique que
la célèbre Dame de beauté, favorite du roi de France Charles VII, inventa le
décolleté à épaules nues, lança la mode de la cosmétique et mourut en 1450 en
Normandie, à Mesnil-sous-Jumièges, empoisonnée au mercure, probablement celui
de son maquillage. Drame de la dame. Je suis déjà dans l’ambiance. J’enfile un habit beau, sans queue mais à haut chapeau beau. Me voilà
paré pour la soirée ! Partons vite avenue Pierre 1er de
Serbie ! J’arrive à l’heure dite au Palais
Galliera, privatisé pour l’occasion. Je suis conduit au département « sous-vêtements » par
une élégante hôtesse d’accueil, en tailleur bleu sombre hyper class. Me voilà
le nez plongé dans cinq mille pièces de lingerie toutes plus belles les unes
que les autres. Je ne suis pas seul. Plusieurs personnalités sont déjà là.
Parmi elles, je reconnais un ami buveur de bières, un rugbyman populaire, le
grand et solide gaillard Bastien Achelabs, mis en habit gris comme moi, avec sa
touche à lui, un maillot rouge à ses couleurs. Heureux de nous retrouver tous
deux ensemble une coupe de champagne à la main au milieu de jolies dames, nous
trinquons souriants en silence. Une invitée jeune et gaie en robe à fleurs
multicolores s’approche alors de nous et lève son verre à notre complicité. « Je te présente mon amie Saly Vicha, me
dit mon copain. Elle a lancé sa propre
collection de lingerie, et cela, avec plus de succès que je n’ai lancé mes
maillots ! Bravo Saly ! Nous allons maintenant travailler en duo à
une collection de sous-vêtements masculins pensés par les femmes qui aiment les
hommes qui aiment les femmes. » Tout est dit. Tout de blanc vêtus, Rémi
Jee et Denis Sabaraudé, deux gars hyper clean et chaleureux, les deux nouvelles
coqueluches du savon Made in France à New-York, sont là aussi. Ils accompagnent
un mécène américain de leurs relations. Isolé dans son coin, un homme
étrangement sapé, malvoyant apparemment, attend seul avec son chien qu’on
vienne le chercher. Un malvoyant dans une galerie d’art ? Quelle drôle d’idée,
il ne peut que toucher … J’apprends par un voisin qu’il s’appelle Luc Féri,
avec un « i », inconnu aux bataillons du web. Un malvoyant certes,
mais un chien aussi. Ce n’est pas un éléphant, certes, et ce n’est pas de la
porcelaine, certes, mais c’est tout de même un grosse bête dans de la dentelle
fine et précieuse. Je regarde attentif la troupe peu à peu se former, se saluer
et s’interroger sur la raison de cette réunion parisienne entre gens de la
mode, noyées dans un mélange subtil d’élégance désuète et de modernité
audacieuse.
Ma flânerie au buffet
me conduit à croiser une très jeune invitée en jean bleu et chemisier blanc.
Elle se dit être Elisabeth Sorel, descendante d’Agnès Sorel et, par là, princesse
héritière de je ne sais quel royaume en Europe. Cette nuit se passera dans de
la belle dentelle et avec du beau linge ! Pour alimenter la conversation,
je lui raconte que je publie une fois par mois sur mon blog des articles
parlant des collectionneurs de timbres, de boîtes de camembert, de boutons, de
pièces de monnaies, de cordes, ou de cercueils, etc. Je m’ennuie. Je laisse
aller mes pensées. Je revis assoupi un poème de Yono-Si :
Elle est là, je la vois, Mes yeux d’elle ne peuvent
plus se détacher
Du regard je la suis sans voix, Qui est-elle cette
muse qui m’a déjà envoutée ?
La revérais-je un jour se promener devant moi sous
le soleil doré ?
Ou dormir loin de moi à l’ombre d’un petit
bois ?
Quelques soudains
tintements de cristal me sortent brutalement de ma rêverie. La maîtresse de
cérémonie Rose Roubasvel, avec Marcel Robe à ses côtés, s’apprête à dire
quelques mots. Cette entrepreneuse a quitté l’industrie du textile féminin pour
se lancer dans les jeux de plateaux poétiques, a cessé le jeter le trouble dans
l’esprit pour vibrer avec les fées et les Persées. « Je vous présente Monsieur Marcel Robe, annonce-t-elle à son
assemblée en se tournant joyeuse vers son acolyte d’un soir. Un vestibuphile émérite qui va vous dire
avec ses mots l’événement qu’il va monter avec moi pour soutenir le Made in
France de la lingerie. On est venu nous chercher. Nous n’avons pas pu refuser. »
Marcel m’adresse de la main un coucou furtif. Je sens de la fierté dans ses
yeux. « Mes amis, nous allons créer
un musée ! lance-t-il à la foule excitée. Il sera dans un petit manoir normand, niché près de l’abbaye de
Jumièges, dans une belle boucle de la Seine, le manoir d’Agnès Sorel, celui où
cette Dame de beauté s’est envolée, emportée par Mercure, dieu des voleurs. Maintenant,
en route pour la visite ! Choisissons ensemble les pièces que nous allons
exposer toute l’année au Musée de la lingerie Agnès Sorel ». La visite
commence. Enveloppée dans une superbe robe fourreau rouge éclatant, Gaëlle
Sersuet, une consœur de la presse digitale, me croche le bras, complice pleine
de malice. Originaire d’Alsace,
elle fait rêver la blogosphère avec ses nouvelles sur la mode, les parfums et
les soins. Avec elle, je suis bien. « Agnès
Sorel, tu sais, j’aime bien, me glisse-t-elle dans l’oreille. » Nous
suivons la guide avec application. « À l’énumération des pièces, on entrevoit le secret de l’intime,
explique-t-elle : jupons, culottes et
pantalons, cages de crinolines, queues, tournures, poufs, chemises de jour,
chemises de nuit, cache-corsets, corsets, gaines, soutiens-gorge, guêpières,
combinaisons, bas, porte-jarretelles, collants, serre-tailles, etc. » Marcel Robe commente ces présentations
pour mettre en lumière les pièces qu’il préfère : le bas-jarretière, le
cache-cœur, la chemise-culotte, la liseuse, le négligé, le caraco, le déshabillé,
le string, le shorty, le body, le débardeur ou le vertugadin. Ah ! Le vertigineux
vertugadin tant aimé des gredins !
On
visite, on regarde, on touche, on comprend, on s’interroge, on enquête, on
s’inquiète, on se rassure. Tout le monde s’est pris au jeu. Le chien sage suit
le mouvement en guidant son maître. La fête bat son plein. Un mélange d’excitation
et d’angoisse. Que choisir parmi tous ces bijoux ! Peu à peu, le groupe
construit son catalogue, commente ses choix, s’approprie les possibles, marque
les incontournables. Tout se passe bien dans le meilleur des mondes de la
dentelle et des frous-frous. L’espace Sorel sera bien.
Quand
soudain ! … Rien ne va plus : le chien vire en malin, le toutou devient
fou, le cabot sort les crocs, le clébard joue le loubard, le cleps fait parler
les biceps. Il se rue enragé sur une parure d’allante allure, la mord, la
croque, la craque, la déchiquette, la met en lambeaux, en mille et morceaux,
qu’il jette, écrase, massacre. Un carnage qui met la guide en rage et Rose en
nage. L’animal sent alors le danger. D’un bond, il se dégage et se sauve, d’un
trait, droit devant. La guide se lance à ses trousses, avec Bastien, suivi par
Saly, puis par Rémi, Denis et leur Américain, Elisabeth et enfin Gaëlle, qui,
libérée de son fourreau, légère dans sa lingerie, poursuit cette poursuite son smartphone
à la main, projetant en direct ce fabuleux « Lingerie event» à ses fans,
qu’elle adore, et qui vont adorer cela. Quant à Luc et Marcel, ils se remettent
tranquillement de leurs émotions, se relèvent et se congratulent. En tapotant
sa petite sacoche, Luc fait comprendre à Marcel que le butin est en lieu sûr. Je
suis prêt à parier ma paye du jour que la parure déchiquetée n’est pas le seul
objet qui cette nuit aura disparu de cette collection. Mais je peux me tromper
et le doute profitera aux accusés. En attendant, Marcel s’en retourne d’un pas
non chaland consoler Rose du mieux qu’il peut.
J’entends
la troupe en furie caracoler en une course endiablée au fin fond du palais. La
voilà qui se rapproche. Je la vois. Elle est là fonçant sur moi. Elle passe en
trombe me rasant les moustaches et manque d’écraser Luc le téméraire sachant se
sauver sans son chien. Rose en cause se mêle d’un jet à la course. Marcel lui
emboîte la foulée. Je vois là sous mes yeux le chien, la guide, Bastien, Saly, Rémi,
Denis, l’Américain, Elisabeth, Gaëlle le smartphone à la main, Rose et Marcel à
la peine, tous en file indienne, courir, détaler, fuir, virevolter, danser en
une vive farandole drôlement pressée. Jusqu’au moment où … le chien épuisé
vient se réfugier haletant dans les bras se son maître. Tout s’arrête et chacun
reste quoi. Quoi ? Va-t-on blâmer l’aveugle ? Va-t-on pendre son
chien ? Va-t-on exiger réparation pour ce bout de tissu disparu ?
C’est
à ce moment là que Luc, honteux et confus, jura mais un peu tard que son chien ne
l’y reprendrait plus. Il ouvre sa sacoche et en sort, devinez quoi, la parure
d’allante allure ! qu’il avait
habilement subtilisée lors d’un moment d’égarement de cette belle assemblée. Le
précieux retrouvé, tout le monde est enchanté.
L’histoire
de ce nouveau repaire de vestibuphiles vient bel et bien de commencer. En
trombe !